Le ministre des affaires étrangères et européennes, Monsieur Bernard Kouchner, a présenté, au conseil des Ministres du 22 juillet, un projet de loi relatif à l’action extérieure de l’Etat.
"Il permet, entre autres, de responsabiliser les ressortissants français qui se rendent sans motif légitime dans des zones dangereuses alors qu’ils ont reçu des mises en garde sur les risques encourus. L’Etat pourra leur demander le remboursement de tout ou partie des frais induits par les opérations de secours. Cette faculté sera également ouverte à l’encontre des opérateurs de transport, compagnies d’assurance et voyagistes, qui auront failli à leurs obligations."
Monsieur Kouchner,
Il est dommage de présenter un texte comme celui-ci à un moment où les français ne portent que peu d’attention à l’actualité.
C’est pourquoi je me permets de relever les quelques interrogations que soulève ce projet car il serait intéressant de savoir comment vous comptez les résoudre.
Tout d’abord, comment allez-vous définir les « zones dangereuses » ?
Par exemple, si nous étudions deux cas récents d’opération de secours comme la libération d’Ingrid Betancourt et celle des otages de Tanit, nous voyons tout de suite les limites de votre texte.
Íngrid Betancourt prend la route de Florencia qui mène à San Vicente del Caguán, malgré les avertissements du gouvernement lui signalant la présence de guérilleros procédant à des barrages en certains endroits de la route. Alors qu'une dernière barrière militaire empêche le convoi de continuer et que les militaires annoncent la présence des guérilleros quelques kilomètres plus loin, la candidate donne l’ordre à son conducteur de poursuivre sa route après avoir signé un document dans lequel elle se rend responsable de cette décision. Íngrid Betancourt et Clara Rojas passent plusieurs barrages des FARC jusqu'à ce qu'elles soient arrêtées à Paujil.
La Tanit et son équipage sont prévenus de la dangerosité du Golfe d’Aden et des côtes somaliennes. Alindien leur demande d’abandonner l’escale au Kenya et de rester à 500 milles des côtes. Faisant route plein sud, sur les Seychelles, l’équipage est pris en otage à 500 milles (environ 940 Kms) des côtes. L’Océan Indien est-il répertorié comme « zone dangereuse » ?
Ensuite, comment définirez-vous la légitimité d’un voyage ? Est-ce la mort annoncée des aventuriers, de ceux qui veulent découvrir et aider des peuples en difficulté ?
Gérard d'Aboville prépare un tour du monde à la barre du PlanetSolar. Il descendra en Méditerranée d'où il prendra le départ à destination de New York, via Gibraltar. Puis, il franchira le canal de Panama pour une grande traversée du Pacifique, s'attaquera dans la foulée à l'Océan Indien et rentrera au bercail dans la grande bleue, via le canal de Suez.
Bien sûr M. d’Aboville n’aura pas à régler les frais d’un éventuel secours puisqu’il sera accompagné par l’Armée lorsque sa « balade » lui fera traverser la « zone dangereuse ». Peut-être serait-il plus correct que M. d’Aboville règle lui-même les frais de cette surveillance. Du moins, l’avis des contribuables pourrait être intéressant.
Est-ce que les conseils aux voyageurs donnés sur le site du gouvernement seront une base pour définir le degré d’irresponsabilité de tel ou tel citoyen ?
Peut-être devriez-vous, M. Kouchner, donner plus d’envergure à votre projet en vous associant aux Ministres de la Santé, des Transports…
Car, chers concitoyens, vous avez été prévenus que la Grippe A sévissait fortement au Mexique, en Argentine, en Angleterre… Il est donc évident que la Sécurité Sociale ne pourra pas rembourser vos soins si, malgré les avertissements, vous vous êtes rendu dans un de ces pays et avez contracté le virus H1N1.
Pour Michèle Merli, déléguée interministérielle en charge de la sécurité routière, la hausse du nombre des tués sur la route s'explique "probablement par l'augmentation de la vitesse" et par un problème de comportement des conducteurs qui se sont montrés moins vigilants et moins respectueux des règles édictées.
En effet, la sécurité routière estime que "l'année 2009 se situera entre 4 450 et 4 550 tués". Il s'agit d'un chiffre en hausse par rapport aux 4 275 victimes de 2008.
34% des accidents de la route ayant entraîné la mort sont dû à l’alcool. Et pourtant, tous les conducteurs ont été maintes fois avertis du danger de l’alcool au volant.
1,2 million d'euros, c'est le coût en 2007 d'un tué sur la route, selon l'ONISR. Pour obtenir cette estimation sont pris en compte les coûts médicaux et sociaux (premiers secours, convalescence, etc), les coûts matériels (dommages des véhicules, etc.), les frais généraux (frais d'expertise, de justice, etc.) mais aussi la perte de production future des tués, et la perte de production potentielle de la descendance potentielle des accidentés sont pris en compte, tout comme les préjudices moraux.
Il serait donc inadmissible, si l’on suit votre logique, que la France paye pour tous ces irresponsables, qui malgré les mises en garde, ont pris le volant sous l’emprise de l’alcool ou de médicaments.
D’ailleurs, il faut penser aussi à ceux qui fument, ceux qui conduisent vite, ceux qui vont continuer à utiliser les cabines UV, ceux qui « se baladent » à la marée montante dans la Baie du Mont St Michel, ceux qui sortent de chez eux malgré les alertes rouges ou oranges de Météo France, ceux qui prendront des avions figurant sur la liste noire…
Les français sont irresponsables M. Kouchner, mais ne soyez pas sectaire.
Enfin, et c’est sûrement le point le plus important à éclaircir pour que votre loi voit le jour, il faudra donner le choix aux français d’être secourus ou non.
Car si nous reprenons l’exemple de Tanit, à aucun moment il n’a été demandé à l’équipage ou à leurs familles s’ils souhaitaient l’intervention des forces spéciales et ceci bien qu’aucun Mayday (signal de détresse) n’ait été envoyé.
Je vous prie de croire, Monsieur Kouchner, en l'assurance de ma très haute considération.
Chloé Lemaçon
Kouchner ou l'ambiguïté à la française - Courrier International - 01/08/2009
En ce qui concerne la grande croisière, vous verrez que les conseils donnés par Monsieur d'Aboville ou par un magazine comme Loisirs Nautiques (N°450) sont bien utopiques lorsque l'on étudie la carte de la piraterie maritime publiée par le gouvernement dans la rubrique "Conseils aux voyageurs":